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Neal Stephenson: Anatèm, Tome 1 (Paperback, 2021, LGF) 5 stars

Review of 'Anatèm, Tome 1' on 'Goodreads'

5 stars

Je ne comprend pas pourquoi ce livre a mis 12 ans pour arriver en poche ...
L'ensemble du roman est raconté à la première personne par Fra Erasmas, jeune membre d'une espèce de monastère sur la planète Arbre qui, en suivant les études astronomiques de son maître Orolo, va se retrouver embarqué d'abord dans une conspiration pour comprendre un secret caché dans les étoiles (tout en découvrant l'amour) avant de partir pour un voyage à travers le monde.
Je crois en fait n'avoir jamais lu une oeuvre d'une telle ampleur. Et ça commence très rapidement par la découverte de cet étrange monastère. Dans celui-ci, les fras et soors vivent isolés du monde extérieur dans le but unique de faire persister, voire d'améliorer, les connaissances scientifiques. Ils stockent donc les manuscrits de l'ensemble des auteurs scientifiques de l'histoire et les étudient pour atteindre un niveau de chercheur dans leur domaine de prédilection (l'astronomie dans le cas d'Erasmas). Ce simple monastère est significatif de l'ambition de l'auteur, puisque Stephenson, dans une démarche que je ne peux considérer que comme scientiste choisit de faire de la religion et de la science deux modes d'explication du monde. Et l'isolement des fras et soors montre bien la tentation de la science de s'isoler des affres du monde. C'est évidement une vision inversée de celle de notre monde, dans lequel les monastères sont religieux ... Mais d'un autre côté, les astronomes qui vont s'isoler au sommet du Mauna Kea ou des sommets chiliens vivent en quelque sorte comme des moines. Et le fait que les moines disposent d'une histoire de la science sur 7.000 ans leur permet aussi de tester toutes les hypothèses scientifiques ayant été faites dans l'histoire, ce qui donne lieu à quelques discussions authentiquement alter-scientifiques tout à fait fascinantes. Et je pense que c'est là le coeur de ce que doit être une oeuvre de science-fiction : utiliser la science, et dans ce cas même l'épistémologie, comme un matériel constitutif d'un récit de qualité.
Et récit il y a, puisqu'à la première partie se déroulant dans le huis-clos assez protégé du monastère s'oppose une deuxième partie dans laquelle l'auteur se livre cette fois à un authentique roman de voyage et de découverte. En effet, notre fraa n'étant jamais sorti du monastère son voyage dans le monde est forcément une découverte de chaque endroit, de chaque coutume, de chaque culture. C'est un procédé littéraire qui fait écho à la plus classique des littératures, et qui est à mon sens un hommage volontaire à cette littérature, qui permet également à l'auteur de nous montrer son talent de créateur de monde : aussi bien lorsque Erasmas découvre certaines sectes exotiques que lorsqu'il emploie des moyens de transport reconnaissables (ou pas) toujours présentés sous un angle exotique.
Ces moyens de transport sont aussi à mon sens un moyen de nous poser la question de la planète des singes : cette planète nommée Arbre, à l'histoire si longue, n'est-elle pas une Terre d'un lointain futur ? Le doute demeure tout le long du roman, et c'est un doute très salutaire pour moi.
Vivement la deuxième partie !