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Umberto Eco: Le nom de la rose (French language, 1983) 4 stars

The Name of the Rose (Italian: Il nome della rosa [il ˈnoːme della ˈrɔːza]) is …

Review of 'Le nom de la rose' on 'Goodreads'

3 stars

Il est difficile pour moi de chroniquer sereinement ce livre.
D'abord parce que comme toute oeuvre adaptée, la plupart des gens ne connaissent celle-ci que par l'adaptation que Jean-Jacques Anaud en fit. Et si le film est intéressant, le livre est tout autre chose.
On y suit donc avec Adro, novice de Guillaume de Baskerville, ancien inquisiteur et moine assez connu, qui se retrouve dans une abbaye plongé dans une sombre histoire de meurtres alors que doit arriver une réunion de conciliation entre l'empereur allemand et le pape d'Avignon (nous sommes après tout en 1327), le tout sur fond de querelle théologique sur le fait que le chist était peut-être, ou pas, propriétaire de son manteau. On le voit, il y a différents niveaux d'intrigues qui s'enchassent et viennent chacun ajouter sa couche de complexité et d'opacité à une enquête policière déja pas simple, qui se déroule en plus dans une abbaye célèbre pour sa bibliothèque ... à laquelle seul le bibliothécaire a accès.
Avant d'aller plus loin, il y a plusieurs à comprendre sur la forme de ce roman.
D'abord, Eco est un érudit : il connaît un nombre de choses assez délirantes, assez bien pour être plongé dans la tragédie de la connaissance : comment savoir que les autres ne savent pas ce que vous savez ? Ca contamine son roman et le rend parfois difficilement lisible, en particulier quand ses moines prononcent une phrase écrite dans le texte en latin (alors qu'ils parlent tout le temps latin). Il le fait aussi un peu en fin de roman avec de l'allemanique vernaculaire, mais ça a moins d'impact, puisqu'il n'écrit aucun paragraphe entier dans cette langue que je ne comprends pas mieux que le latin.
Par ailleurs, cet érudit est assez loin de Tolkien, puisqu'il voit, je pense, le monde comme sujet à plaisanterie, satire et amusements littéraires divers. Donc on trouve dans ce roman quelques passages où il se pique à certains jeux littéraires, typiquement celui de l'énumération, qui sera reproduit cinq ou six fois durant le roman, toujours au détriment du lecteur, puisque ces listes de péchés sont rigoureusement inutiles et absolument pénibles. On y trouve aussi quelques paragraphes dans la veine de Proust : une phrase, beaucoup trop longue, se perd dans un marécage de sens avant de disparaître, me laissant perdu dans son récit ... C'est pénible, pas forcément nécessaire.
En revanche, le côté intellectuel amusé lui offre le tour de force de résoudre cette enquête par accidents, après nous avoir dans tout le roman un enquêteur sûr de sa force déductive, et rempli de réflexion scientifique. C'est particulièrement amusant.
A cela s'ajoute un plaidoyer évident dans plusieurs passages mettant en scène cette fameuse discussion sur la richesse du Christ. A chaque fois, le personnage principal défend l'idée de la liberté de penser, voire de s'exprimer, quand bien même la pensée sort d e l'orthodoxie. Evidement, les tenants d'une vision spirituelle du monde y verront une métaphore transparente, et habile, du monde actuel, et féliciteront l'auteur pour sa clairvoyance et sa capacité à user de la métaphore pour nous parler de la triste réalité de l'invasion de ces incroyants venus d'ailleurs. je crois pour ma part qu'il s'agit d'un vibrant plaidoyer pour la pensée critique et le fait de ne suivre personne aveuglement, ni le religieux porteur d'une foi ostentatoire, ni le politicien au message léché pour me faire détester tel ou tel.
Et puis il y a la bibliothèque, qu'il faut peut-être bien tenter de voir comme la métaphore d'un système de connaissances : dans la plupart des cas, la connaissance passe par des instances autorisées. Ne vaudrait-il pas mieux laisser tout un chacun "faire ses propres recherches" ? Je crois qu'Eco milite dans ce roman pour une forme de science citoyenne, bien éloignée de ce qu'est devenu aujourd'hui ce slogan de débiles mentaux : accéder aux connaissances, aux vraies connaissances, sans fard, sans masque, sans traduction, devrait permettre aux gens de se libérer de l'esclavage des croyances. Mais évidement, pour accéder à ces connaissances, il faut se remettre au niveau des sachants, et ça n'est pas toujours simple ...
Et c'est peut-être le plus gros écueil de ce roman : Eco nous éblouit de sa propre connaissance. Et même si son message est de nous pousser à nous approcher nous même de la connaissance, il nous le demande au nom d'une croyance qui serait que la connaissance serait libératrice. N'est-ce pas ce qu'on disait de tous les moyens de communication ? Et ces moyens de communication sont in fine toujours dévoyés pour remplacer la connaissance par une espèce de salmigondis de distractions plus ou moins intelligentes.
Comme vous le voyez, c'est une lecture qui ne m'a pas laissé indifférent. J'en ai aimé certains aspects, d'autres m'ont en fait profondément ennuyés (parce que l'auteur pérorait avec prétention). J'ai toutefois beaucoup lutté pour achever ce livre à la plume lourde comme un manuscrit médiéval. Je ne le recommande donc qu'aux lecteurs qui préfèrent les livres faisant réfléchir, et où rien ne se passe comme prévu, aux images animées, forcément simplistes.